L’empoisonneuse de Clary
(Affaire Octavie Lecompte)
Lorsque l’on commence sa généalogie, on ne s’attend pas à avoir certaines surprises…
On trouve toutes sortes de
situations familiales et professionnelles chez nos ancêtres, et l’on peut
s’adonner parfois à quelques rêveries en pensant qu’un jour, l’on trouvera un
illustre personnage.
Mais les actes nous ramènent tout de suite à la réalité, nos ascendants sont des
gens tout ce qu’il y a de plus simple, confrontés à ce qu’il y a de plus
basique : survivre et faire vivre sa famille ; et certains écrits nous
rapportent des situations dramatiques.
Lorsque j’ai commencé ma généalogie, j’ai trouvé des brasseurs, des laboureurs,
des bergers, des ménagers. Point de Maréchal de France, ou autre personnage
s’étant distingué au cours d’une grande bataille, encore moins de Prince.
Les recherches généalogiques sur Clary étant ce quelles sont du fait des destructions de la Première Guerre Mondiale, j’ai été obligé - afin d’avancer dans celles-ci - d’élargir aux collatéraux et au-delà, afin de trouver, parfois, l’élément manquant.
Au cours des lectures des
registres et des documents des Archives j’ai appris que mes ancêtres, loin
d’être des saints, se laissaient aller quelquefois, après s’être adonnés à la
boisson, à des gestes peu glorieux comme admonester leurs compagnons de
beuverie, et participer à des batailles rangées, se faisant ainsi remarquer par
la maréchaussée.
Les hommes faisaient aussi valoir toute leur puissance envers la gente féminine,
et montraient bien qui étaient les seuls maîtres de la maison (après Dieu et le
Seigneur de la région).
Quand ils disaient non, il n’y avait pas à y revenir.
Ce non obligera d’ailleurs, une de mes ancêtres à mener son père, après les
obligations respectueuses réglementaires, devant l’Officialité de Cambrai, afin
d’obtenir le droit de se marier avec l’homme qu’elle avait choisi.
La vie était rude, il n’y avait pas de place pour les paresseux, et chacun, tout en restant à sa place, avançait plus ou moins facilement.
J’étais loin de penser, que,
parmi toutes ces personnes rencontrées au fur et à mesure de mes recherches,
j’allais trouver un cousinage (éloigné certes, mais cousinage tout de même)
avec une double meurtrière, empoisonneuse, parricide et fratricide.
Fichtre !
Une Marie Besnard avant l’heure dans la famille ?…
Non. Le cas d’Octavie Laetitia
Lecompte est loin de ressembler, au poison près, à celui de Marie Besnard qui,
elle, sera acquittée.
Différentes correspondances
avec des chercheurs sur le patronyme Lecompte m’inciteront à avancer en premier
lieu sur cette généalogie dont le résultat est publié sur le site (
ICI ).
Ensuite, diverses recherches sur internet me permettront de trouver quelques
documents intéressants comme les articles du « Le Petit Journal » de 1914
relatant l’affaire ; les « notes et observations médico-légales » du docteur
Jean Minet.
Puis aussi les notes de monsieur Henri Montigny, qui me firent comprendre
également pourquoi il l’avait passé sous silence dans son livre, Notre Histoire
à travers celle de Clary en Cambrésis (alors qu’il évoquait « l’affaire » sans
aucune arrière pensée, un apparenté d’Octavie se fâcha et le menaça de
poursuites judiciaires).
Quelques relevés en mairie de
La
Ferté Vidame(28) et de Gricourt(02) pour confirmation de dates et
d’informations déjà trouvées.
Suite à mon passage à la Ferté Vidame, trouvés
aussi sur internet plusieurs comptes-rendus de réunion du Conseil Supérieur de
l'Administration Pénitentiaire au sujet de l’œuvre Sainte-Marie-Madeleine.
Lu aussi à partir d’internet, « Les grandes affaire criminelles du Nord » de
Bernard Schaeffer pages 136 à 142
Reste à consulter, si cela est possible, le dossier judiciaire aux Archives Départementales du Nord, et les différents arrêts présidentiels.
Cette affaire fut pour moi un vrai « jeu » de piste. Chaque événement évoqué, à condition qu’il soit daté et localisé, a fait l’objet d’une consultation d’archives, d’actes d’état civil, d’articles de journaux, de livres, afin d’être le plus exhaustif possible. Comme à mon habitude, il s’agissait de recouper l’information, de vérifier son exactitude.
Il m’a fallu plusieurs années pour réunir toutes ces références que je vous livre ici aujourd’hui.
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Octavie Laetitia Lecompte
est née le 13/02/1879 à Clary, ses parents s’étaient mariés quelques semaines
auparavant à Caullery.
La suite de sa vie, nous la trouvons dans le rapport du docteur Jean Minet et
les articles de journaux ; je vous encourage à les lire.
Octavie sera condamnée à mort
le 4 mai 1914, et, en tant que parricide, elle aurait dû être guillotinée sur
l’une des places publiques de Cambrai, en chemise, pieds nus, et la tête
recouverte d’un voile noir.
Sa peine sera commuée en travaux forcés à perpétuité.
D'après le livre de Robert BOUCARD,
Les dessous des prisons des femmes, 1934, on apprend qu'Octavie
sera emprisonnée à la prison pour femme de Rennes.
Elle bénéficiera de
différentes remises de peine dont la première en 1937 : la permutation de la
perpétuité en 20 ans de travaux forcés. Elle sera finalement libérée en 1945.
N’ayant pas consulté le décret de libération, je ne sais donc quelles en furent
les conditions, mais je présume qu’elles ont été assorties certainement d’une
interdiction de séjour sinon dans le Nord, tout au moins sur Clary et alentours.
Elle décèdera à La Ferté Vidame (28, Eure et Loir) en 1948. Son acte de décès
indique que la déclaration a été faite par l’économe de l’œuvre
Sainte Marie Madeleine.
Cette institution, ouverte en 1945 par le Révérend Père Courtois accueillait les
détenues en fin de peine ou déjà libérées (avec ou sans conditionnelle) afin de
les aider à se réinsérer. Elle semble jouir d’une grande réputation comme en
attestent les rapports du Conseil Supérieur de l'Administration Pénitentiaire de
1946 et de 1947 transcris ci-dessous
Elle sera fermée en 1979 au décès du fondateur.
Extrait : CONSEIL SUPÉRIEUR de l'Administration Pénitentiaire
Séance du 30 janvier 1946
"Je dois aussi signaler à
votre attention, toujours dans le domaine du patronage post-pénal, à côté de la
Société Protestante des prisonniers libérés, le Patronage SAINT-LEONARD, près de
Lyon, et l'Œuvre du Père Aune à la TREVARESSE, l'Œuvre admirable créée par le R.
P. Courtois.
Dans un vaste domaine mis à la disposition de cette Œuvre par l'Administration
qui en a fait l'acquisition à cet effet, a été organisée une Œuvre d'Accueil
pour les femmes bénéficiaires de la libération conditionnelle ou libérées
définitivement. Après de longues années d'expiation, ces femmes que l'on aurait
pu croire à tout jamais déchues, trouvent là de nouvelles raisons de vivre et y
sont réadaptées à la vie en société. Le travail y est bien organisé, un atelier
doté d'une cinquantaine de machines à 'coudre permet à ces femmes de travailler
à la confection d'articles de chemiserie confiés par une grosse entreprise et de
gagner ainsi un salaire tout en se préparant à reprendre leur place dans la
société. Un des aspects touchants de cette Œuvre, c'est la réunion de familles
parfois depuis longtemps dissociées.
A la FERTE-VIDAME, les fils retrouvent leur mère, les mères leurs enfants, les ménages se réconcilient, les foyers se reconstituent pour le plus grand bien de la communauté française. C'est donc une Œuvre nationale en même temps que sociale que celle du R. P. Courtois et j'étais heureux d'apprendre, tout récemment, que des personnes généreuses allaient lui faire don de domaines importants, en vue de la création de nouveaux établissements. L'Administration Pénitentiaire ne saurait trop s'associer à ces œuvres de solidarité humaine qui entrent parfaitement dans le cadre de la réforme et elle souhaite, qu'encouragés par la réussite de l'Œuvre du Père Courtois, nombreux soient ceux ou celles qui voudront suivre son exemple, (applaudissements)."
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Extrait : CONSEIL SUPÉRIEUR de l'Administration Pénitentiaire
Séance du 30 janvier 1947
"Enfin, Madame, Messieurs, sonne l'heure pour les meilleurs, de la libération conditionnelle et pour les autres, de la libération définitive. Il ne faut pas que, dès ce moment, le libéré soit abandonné à lui-même. Il importe qu'il soit aidé et assisté en cas de besoin. Il faut renforcer le lien de famille qui a pu, malgré tout les efforts du Service Social, se distendre et veiller à ce que le libéré ait un emploi, C'est le but des Œuvres et des Comités d'Assistance et de Placement. Au nombre des Œuvres, je vous signalais, l'an dernier, celle tout nouvellement créée, de la FERTÉ- VIDAME, installée sur un domaine acheté par l’État. Nous avons suivi au cours de l'année écoulée, l'évolution de cette Œuvre bien gérée et bien dirigée par le R. P. COURTOIS . Une centaine de pensionnaires y sont déjà passées. A l'heure actuelle, il y en a 59 dont 45 en liberté conditionnelle et 14 à fin de peine. 30 nouvelles arrivantes y sont attendues. Il y a là, en outre, une vingtaine d'enfants qui ont été rapprochés de leurs mères. Le pardon des parents, des enfants, des maris a été obtenu dans une large proportion et 80 % environ des pensionnaires ayant quitté l'Œuvre ont retrouvé une place normale dans la Société."
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Selon les notes de monsieur Henri Montigny, Octavie Lecompte aurait écrit ses mémoires pendant sa détention et elles auraient été publiées. Le titre du livre est inconnu, et à ce jour, nous n’en avons pas trouvé trace.
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Que sont devenus les enfants d’Octavie ?
Zoé : elle est née en 1896, mais son acte de naissance reconstitué ne comporte aucune mention marginale. Nous ne savons pas ce qu’elle est devenue ni quelle fut sa vie.
Félix : son acte de naissance comporte des mentions marginales dont 2 actes de reconnaissance de sa mère, en janvier 1909 et en févier 1914, une mention de mariage en 1933 à Guines (62) et de décès en 1970 à Helfaut (62).
Nous ne savons pas s’il y a des descendants.
Philippe BOURLET mars 2013
Documents consultables à la BNF :
LECOMPTE
Octavie-Laëtitia
Né/née : 12 février 1879
Profession : ménagère à Clary
Date de la condamnation : 04/05/1914
Motif de la condamnation : empoisonnement de son père et de son frère.
Juridiction : Douai
Date de grâce : 13/06/1914
Remarques : peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité ;
proposition pour une remise de peine en 1945.
BB/24/ 2113 dossier n° : 3552 S14
dernière mise à jour de cette page : 07 mars 2021