Le Château disparu de CLARY

 

Nous avons eu la bonne surprise, dès 1952, de découvrir, en la Bibliothèque Municipale d'Arras, un ouvrage mentionnant l'existence ancien­ne du "Château de Clary". Cette attestation datant de la fin du XVIe siècle venait confirmer une tradition orale.

Nous avons cherché, depuis, d'autres documents signalant notre Château. Recherches vaines. Nous pensons savoir où il était édifié, mais nous ne pouvons pas apporter la preuve irréfutable de la situation que nous lui donnons sur le terrain. La seule preuve, en l'absence de documents écrits suffisamment précis, serait la fouille positive du site, révélant la configuration des constructions et leur âge. Nous n'avons pas la compé­tence pour la faire.

Madame Clément-Hemery a publié en 1840 la Relation du Siège et de la Reddition de Cambrai aux Espagnols en 1595, d'après le mémorial journalier d'un moine de l'Abbaye du Saint-Sépulcre. C'est notre document de base.

Citant Davila, livre 15, Balique et Cotolendy, elle précise que, parmi les conditions de capitulation proposées par tyran Balagny, assiégé dans la Citadelle, était celle-ci :
... "que .2e Comte (De Fuentes) , de son côté, s' obligerait à faire démanteler dans les six jours le château de Clary, dont les troupes espagnoles s'étaient emparées depuis peu...".

L'auteur indique que les conditions de la reddition s'exécutèrent le 9 octobre 1595.

Dans son Histoire de Cambray et du Cambrésis, publiée en 1664, Le Carpentier indique, à l'article Clary :
… "Ce village, qui se voit à trois grosses lieues  de Cambray, non loin de Walincourt, porte encore dans ses ruines des marques de ses superbes bâtiments et maisons fortes".

1595-1664 : le temps de deux générations. Ce temps n'a pas encore été suffisant pour faire entièrement disparaître le Château démantelé.

Il parait même établi que les Echevins de Clary et le Seigneur de Walincourt-Selvigny-Clary-La Sottière se sont efforcés de faire réparer "le fort de Clary", entre ces deux dates. Le Prévôt de Clary en 1623 Martin Massel, Censier d'Iris, en convient au cours de son procès (voir, le chapitre consacré aux prétendus hérétiques [Notre Histoire à travers celle de Clary en Cambrésis]) et indique que Guillaume de Melun, Prince d'Epinoy et Seigneur de Clary, a permis que soit levé un impôt spécial sur la bière pour payer les ouvriers et les matériaux.

L'entreprise s'avéra-t-elle trop ambitieuse ? Il parait certain, en tout cas, que l'on préféra finalement utiliser les matériaux pour d'autres constructions : construction de maisons et construction de chemin. Nous avançons l'hypothèse que ce n'est qu'après avoir épuisé les matériaux du Château que l'on retourna dans les souterrains (voir chapitre 18 [Notre Histoire à travers celle de Clary en Cambrésis]) pour retrouver de la pierre à bâtir et des matériaux pour les chemins.

Bruyelle affirme, dans ses ouvrages sur l'archéologie du Cambrésis (1854 et 1862), qu'il "n'y a plus trace de l'ancien château-fort" de Clary.

Dans son Histoire Généalogique et Héraldique des Seigneurs de la Terre et Baronnie de Walincourt en Cambrésis (1901), l'Abbé Guiot indique, de la seigneurie très puissante de Walincourt, relevaient plusieurs seigneuries "secondaires" dont La Sottière et Clary.

Et il ajoute que le Château de Walincourt était défendu par plusieurs seigneuries ou maisons fortes, dont La Sottière et Iris près de Clary.

LA SOTTIERE

Le lecteur se souvient avoir lu que les Seigneurs de Walincourt, également Seigneurs de Clary, citent toujours La Sottière parmi leurs possessions.

Cette permanence, jointe à la mémoire collective qui fait état d'un "Château de la Sottière", nous conduisait naturellement à nous intéresser à ce site.

Au début du XXe siècle, Monsieur Charles Hédiard, alors clerc de notaire, trouva, dans les archives de l'étude, un acte rédigé sur parchemin qui débutait ainsi : "Nous, Seigneur de Clary, Comte de la Saultière...". Malheureusement, cette information n'a pu être confirmée par la présentation du parchemin, de tels documents n'existant plus en l'étude notariale de Maître Girard lorsque nous en avons été informé en 1964.

Feu Monsieur Henri Collard nous a rapporté que son père affirmait l'existence ancienne d'un "Château de la Sautière (Sottière)", et le situait à l'extrémité de la rue du même nom, dans une pâture au sol assez dénivelé. Le même témoin situe un "Chemin du Château" : petit chemin de terre partant actuellement de la Chapelle Notre-Dame de Lourdes, rue de Cambrai, vers le sud, mais qui partait au début de ce siècle de la rue Dîme (rue du Commandant Delattre).

Un autre témoignage affirme l'existence, toujours au début de ce siècle, des fossés du Château, alors visibles au lieu dit "Les Quatorze". Ce lieu dit est situé à droite du chemin conduisant à Hurtevent alors que La Saultière est à gauche, mais nous verrons en examinant les documents cartographiques qu'il existait quatorze saules bordant le riot de la "Sotierre" ... il peut y avoir eu confusion dans la mémoire collective ?...

Voyons ce que l'histoire a retenu de cette Sottière (Sotierre, Saultière ou Sautière, selon les documents et les époques) :

L'inventaire dressé en 1598 par Jean de Martigny, à la demande du Comte de Fuentes, Lieutenant-Général des Pays-Bas Espagnols et Chef de l'Armée Espagnole qui avait repris Cambrai quelques années plus tôt, des "terres, seigneuries et aultres biens séans tant en la ville de Cambray que pays et comté du Cambrésis, quy par droict de guerre et confiscation sont dévollus au Roy notre Sire", cite : ... "la terre et seigneurie de Walincourt, Clary et Selvigny et La Sottière en Cambrésis" qui appartenaient à Pierre de Melun.

Dans son Histoire de Caullery, le Chanoine Thelliez fait mention du Sieur de la Motte, Seigneur de "Le Saultière" à Clary au début du XVIIIe siècle. Ce sieur de la Motte est redevable au Seigneur du Sartel d'un droit de dîme et de terrage, mais le souverain seigneur de la Saultière est le seigneur de Walincourt.

Nous n’avons pas identifié davantage ce Sieur de La Motte, Mais le Carpentier n’avait-il pas écrit en 1664 que la famille de Dours s’était apparentée à la famille de La Motte ?

Il est donc établi que La Sottière était une seigneurie distincte de celle de Clary, bien qu'étant sur son terroir. Et c'est ce que confirme la Déclaration des Villes, Villages, Hameaux et des principaux Fiefs, Fermes ou Censes, régie par les Coutumes Générales du Cambrésis de 1776. Nous relevons, dans la liste des fiefs situés au terroir de Clary : "Le Sartel (Artois) et La Sottière" ; et dans la liste des seigneuries du ressort de la juridiction de Crèvecoeur : "Clary ... Selvigny ... La Sottière à Clary ... Walincourt ...".

A la recherche de sa situation exacte sur le terrain, nous avons étudié de nombreux documents cartographiques :

La carte de l'Archevêché de Cambray en 1637, dont nous avons reproduit un extrait au chapitre précédent, situe "La Sotier" au sud-ouest du village. Même existence et même situation sur les cartes Duval de 1675 (Le Cambrésis et le Hainaut) et Chaumier en 1793 (carte routière de Jaillot revue par Chaumier et faisant paraître les districts révolutionnaires).

Mais, dès 1655, Le Carpentier avait omis de situer La Sottière (Tableau de l'Ancienne Noblesse du Cambrésis) et Jaillot (1720), Olivier (1774), Cassini (1778), Desnos (1784) ne mentionnent pas davantage cette seigneurie sur leurs cartes.

Par contre, le plan Boursiez des Terres appartenant à l'Abbaye de Cantimprez en 1761 situe au même endroit une importante pièce de terre (nous évaluons sa superficie à environ 5 ha 75), dénommée : "Sotierre", à l'extrémité du "Chemin de la Sotierre" venant de l'actuelle Rue du Général de Gaulle, et d'une autre voie aussi large (aujourd'hui disparue) venant de l'actuelle Rue de Cambrai.

Cette pièce de terre dénommée "Sotierre" était traversée par le "Ruÿot de la Sotierre" et il est curieux de constater que l'arpenteur a figuré dans cette pièce, et le long du riot, quatorze arbres.

La dénomination utilisée en 1761 est manifestement une survivance de celle du fief seigneurial ancien, devenu ensuite propriété de l'Abbaye de Cantimpré.

Chose digne d'être signalée, en février 1603, soit moins de huit années après le démantèlement du château, Pierre du Moutiez et Jeanne de Forest sont domiciliés au hameau de la Sottière à Clary. C'est ce que nous apprennent des actes de l'Echevinage de Caullery (chirographes conservés en la Mairie): "Pierre du Moutiez et Jenne de Forest sa femme demeurant au hamel de le Sottière le Clary en Cambrésis". Le greffier P. Taisne écrit aussi dans l'acte : "... conjoings demeurant au Pramel de le Sothière le Clary en Cambrésis".

Ce Hameau de La Sottière était-il alors ce qu'il restait de l'environnement du château détruit ? Le dénombrement déjà cité des fiefs dépendants de Walincourt en 1599 fait mention des "mais on, grange et estable (de Valentin Leroy) aises sun quatorze mencaudées de terre (environ 5ha) qu'il tient en rente de t' Abbaye de Cantimpret tenant d'une part à la rue quy maisne à sainct quentin e t au chemin quy maisne de Clary a Le Sottière et a lhéritaige Adrien de Caulerie".

ORIGINE DU NOM SOTTIERE :

Dans son étude sur la Signification des noms topographiques de l'Arrondissement de Cambrai (1866), l'Abbé Boniface mentionne "le ploich de Soteria" rencontré au terroir de Clary en 1262. Il traduit l'appellation par : "Métairie des Saules".

Ploich est à rapprocher du bas latin plogetum = terre labourable, à rapprocher du teutonique ploeg = charrue, et du celtique plou (ou ploué) = campagne ou village.

Soteria, mauvaise orthographe pour Sauteria, dans le sens de saulaie à rapprocher du drochi Sotière, Seutière = saulaie, lieu planté de saules.

Il est vraisemblable que cette métairie des saules était située à l'emplacement désigné sur le plan de 1761. Ce lieu est dénommé sur les cadastres, depuis 1811, "Vallée de la Sottière (ou Saultière)" et il existe encore quelques saules sur le parcours du riot du même nom.

LE SITE DU CHÂTEAU

Et le Château, dites-vous ?

Après avoir interrogé vainement les chercheurs en histoire régionale et les sociétaires des "Amis du Cambrésis", nous avons obtenu qu'une reconnaissance aérienne soit effectuée en janvier 1981 par des archéologues de la région.

Nous leur avions indiqué simplement le sud du village, faisant confiance à leur expérience et leurs compétence pour détecter -grâce à l'observation directe et aux photographies souvent plus révélatrices depuis l'avion- les éventuelles traces du Château de Clary.

Les photographies obliques rapportées font apparaître, derrière la ferme de Monsieur Jean-Pierre Lefebvre, et sensiblement à égale distance de la Rue de la Sautière et de la Rue du Général de Gaulle, une motte importante qui pourrait être la "motte féodale" sur laquelle était construit le château.

Nous avons complété cette observation aérienne par une observation au sol, parfaitement concordante. Elle révèle en effet des bouleversements importants et très anciens du sol, au sud-ouest et à l'ouest de la ferme Lefebvre. A-t-on, à la fin du XVIe siècle, poussé là des matériaux de démolition du château ?

L'existence très ancienne d'arbres plantés en ce lieu peut indiquer la présence de pierres rendant le sol impropre à la culture. Les archéologues ont souvent noté cette présence sur les fondations de constructions disparues.

Des fouilles concertées seraient nécessaires -et c'est l'affaire de spécialistes- pour confirmer cette "découverte", qui restera jusque là l'hypothèse vraisemblable la plus séduisante.

Les indices concordants sont nombreux : situation près du point le plus élevé du terroir ; protection de la ferme fortifiée d'Iris et du Château de Walincourt ; sur l'ancienne route de Saint-Quentin à Valenciennes ; et pérennité de la mémoire collective.

Quant aux indices qui détruiraient cette hypothèse, nous n'en avons pas encore rencontré un seul.

Nous faisons de nouveau appel aux lecteurs. Toute découverte de document concernant le Château disparu de Clary, toute découverte de vestige seront accueillies avec le plus vif intérêt.

 

Henri Montigny

 

dernière mise à jour de cette page : 20 juin 2005